Qui a dit que nous n’étions plus capables de faire consensus dans notre société? Le gouvernement fédéral vient de réussir à nouveau ce prodige en imposant de force la mise en œuvre du Federal Learning Account et en faisant ainsi l’unanimité contre une nouvelle mesure anti-simplification administrative.
Plusieurs questions centrales au sein de nos organisations (la responsabilité sociétale, l’égalité des genres et donc, le développement des compétences…) ne s’accordent pas avec les contraintes d’une réglementation surabondante. Ces dernières se heurtent à la liberté d’entreprendre ainsi qu’aux besoins de flexibilité sans cesse croissants du marché du travail. Ceci étant, nous sommes assaillis de lois inapplicables. On fait quoi ?
Personne ne remet en cause l’importance de la formation tant pour les travailleurs que pour les entreprises. Tout le monde pointe l’inadéquation et l’impossible mise en application du dispositif imaginé par le gouvernement. La critique est facile, c’est vrai… Mais elle s’appuie ici sur une réalité récurrente. Les ‘nouvelles’ mesures de l’exécutif concernant les obligations de formation montrent une forme d’incompréhension de la réalité quotidienne de l’entreprise et font un procès d’intention insupportable aux dirigeants d’entreprise dont l’ambition première serait d’empêcher leurs collaborateurs de s’épanouir. Il faut que cela s’arrête.
5 jours obligatoires, ce n’est pas assez!
L’apprentissage et le développement personnel, c’est une démarche quotidienne, de chaque instant. Nous savons qu’en affirmant cela, nous prenons un double risque. D’une part, celui de remettre la ‘responsabilité’ de la formation sur le travailleur (à chacun de prendre son destin et ses compétences en main!) et celui d’inviter tacitement l’entreprise à négliger la gestion structurée des trajets de développement personnel de ses collaborateurs. Ce n’est pas l’intention.
Comprenons que la formation est dans tous les cas continue, qu’elle fait partie de toutes nos activités et rencontres et que nous devons encore trouver un moyen de la ‘capitaliser’ correctement, même si les plateformes digitales nous ont d’ores et déjà permis de faire des pas de géant en la matière.
Considérer 5 jours de formation comme un minimum à atteindre – c’est souvent dans cet esprit que les réglementations sont conçues -, c’est à la fois insuffisant et non conforme aux pratiques de terrain.
Des collaborateurs qui ne veulent pas apprendre, cela existe vraiment?
Nous venons d’évoquer la contradiction évidente qu’il peut y avoir entre des réglementations coercitives appliquées aux entreprises et la liberté d’agir pour développer nos organisations. La formation est le meilleur et le premier investissement qui soit. C’est également le plus rentable (à condition de la connecter avec une politique de rétention adaptée). Tout n’est cependant pas rose. Il peut aussi y avoir des collaborateurs qui ne sont tout simplement pas intéressés. Comment appliquer cette nouvelle réglementation dans le cas où un travailleur campe sur des compétences obsolètes, malgré nos invitations à s’inscrire dans une démarche de développement personnel? Peine perdue en toute franchise, même en restant aussi inclusif que possible… Autant consacrer notre énergie et nos moyens en priorité à celles et ceux qui veulent grandir et contribuer.
Un passage en force qui ne pourra pas provoquer l’adhésion
Enfin, si la mesure ne suscite que du rejet, c’est aussi parce que le processus de prise de décision bloque. Tous les partenaires sociaux s’accordent sur l’inadéquation de la méthode utilisée. Il y a énormément de belles et bonnes idées qui sont enterrées parce que la concertation n’a pas eu lieu. Non, le bon sens ne l’emporte pas à chaque fois. Peu importe que cela soit par empressement ou par bêtise idéologique, on n’arrive jamais à destination sans embarquer avec soi celles et ceux qui vont mettre en œuvre nos décisions géniales. Ce dispositif obligatoire de 5 jours de formation au minimum pour tous les travailleurs sans exception est une intention louable et parfaitement… inapplicable dans la plupart de nos organisations. Faut-il s’en émouvoir puisque l’Etat n’a jamais brillé dans un rôle de shérif, à force de multiplier des mesures que ses agents n’ont pas les moyens de contrôler…
Au fond, il est facile d’annoncer le fiasco du Federal Learning Account inauguré le 1er avril dernier par le gouvernement fédéral. Entendons-nous sur ceci : il n’y a pas d’opposition de principe. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions… La nécessité de formation pour toutes et tous est une évidence absolue. Et il n’est pas question de nier que certain.e.s ne bénéficient pas d’un apprentissage adéquat. Essayons donc d’aider les entreprises et travailleurs qui n’y arrivent pas, faute de ressources ou de méthodes. Et laissons bosser en paix tous les autres qui rêvent de légèreté administrative et d’auto-détermination.
Jean-Paul Erhard