Partir, puis revenir chez son ancien employeur… Ce n’est plus exclu, alors que cela nous semblait rarement envisageable il y a peu de temps encore. Quitter son employeur donne en effet naissance à un mélange d’incompréhension et de vexation. Comment est-il possible qu’un employé puisse décider d’aller voir ailleurs? Plus tard encore, il faut avoir une sacrée audace pour oser croire que les portes vont se rouvrir en cas de retour. Non mais… Attention… Aujourd’hui, les salariés boomerang sont parmi nous. Pas un hasard compte tenu du nombre d’entreprises qui luttent pour attirer et garder les talents, y compris ceux qui leur ont tourné le dos à l’occasion d’un moment d’égarement. Les accueillir comme il se doit, cela se prépare forcément. Avec une exigence absolue de positivité.
La démission n’est plus vécue comme une trahison.
Dans chacune de nos entreprises, il y a des gens que l’on aime, il y en a aussi que l’on déteste. Se l’avouer est plutôt sain… à condition de ne pas consacrer son énergie à nuire voire à détruire celles et ceux que l’on exècre. Parfois, il arrive que la tension générée par les difficultés relationnelles et par l’impact de ces émotions négatives sur notre quotidien nous amène à partir. Il ’suffit’ en fait d’intégrer dans nos schémas de pensée que le critère déterminant dans notre bien-être repose sur la qualité de nos relations à autrui. Cela nous permet de comprendre pourquoi certains restent et pourquoi d’autres s’en vont. Le lien ‘spécial’ que nous entretenons avec une organisation repose sur les personnes qui nous entourent. C’est pour cette raison qu’il faut penser nos collectifs comme des écosystèmes et non comme un alignement de talents qui devraient se compléter sur le plan opérationnel. Et c’est aussi pour cela qu’un départ peut se comprendre dès que l’équilibre humain est modifié. Ce n’est pas la loyauté vis-à-vis du projet ni vis-à-vis de la ‘marque’ qui est en jeu. Ce n’est pas une question de trahison. Il s’agit avant tout d’observer la dynamique des relations et de réussir alors à accepter des démissions souvent prévisibles.
Bon d’aller chercher de l’expérience ailleurs
Nous pouvons ensuite reconnaître qu’il y a beaucoup d’opportunités à saisir et de compétences à développer en dehors de notre entreprise. Multiplier les environnements de travail permet forcément d’élargir nos horizons. Statistiquement, c’est incontestable. Même si nous pouvons redoubler de créativité en matière de mobilité interne et de nouveaux projets, le transfert vers une autre organisation est synonyme de découverte et, à priori, d’apprentissage.
Sur ce plan justement, une des frustrations majeures vécues par les RH en cas de démission concerne la ‘perte’ de l’investissement en formation qui va in fine profiter à une autre entreprise. C’est en effet un élément que nous peinons à prendre en compte lorsque la question du ROI (return on investment) en matière de formation est posée. Il est de plus en plus fréquent que celui-ci soit perdu, ou plutôt capitalisé par un tiers. Zéro certitude donc quant à la pertinence des initiatives de formation sur le moyen et long terme, sauf à considérer la question sous un angle global. Lorsqu’un talent nous quitte pour aller voir ailleurs et y exploiter les compétences acquises chez nous, il faut croire que celle ou celui qui va nous rejoindre aura bénéficié des mêmes soins et qu’il pourra rentabiliser chez nous les efforts de formation dont il a bénéficié ailleurs!
Il faut parier en outre sur la possibilité de récupérer un jour le talent qui vient de nous quitter lorsqu’il aura exercé d’autres responsabilités à l’extérieur. Même décalé dans le temps, l’investissement en formation n’est finalement jamais perdu. A condition de rester attractif et de s’imposer une gestion positive des départs et des séparations afin qu’une collaboration reste possible à l’avenir. Pensons plus loin donc.
Remettre le couvert avec un.e ex, pourquoi pas?
Parlant de la qualité des séparations… On ne peut s’empêcher de dresser le parallèle entre le contrat de travail et le contrat de mariage (cela fonctionne aussi avec une relation sérieuse). Il y a deux écoles : celle qui avance qu’il ne faut jamais, mais alors jamais!, y retourner d’une part… Et celle qui réfléchit en se disant qu’on ne sait jamais. Nous sommes de plus en plus nombreux à avoir à concevoir que tout est possible, y compris l’hypothèse de la flamme qui revit. Bien sûr, il y a des conditions à commencer par celle qui consiste à avoir appris de notre première expérience commune et de ne pas répéter les erreurs du passé.
Nos entreprises, à l’instar de nos couples, évoluent. Elles se transforment, de façon plus ou moins volontaire. En cela, nous pouvons imaginer de grandes retrouvailles qui sonnent le début d’une aventure franchement différente de ce que nous avons connu. Restons ouverts donc et ne gardons que le meilleur de nos souvenirs communs!
Penser sociétal et positif.
Bien appréhender les départs exige désormais d’élargir nos horizons en considérant la gestion des talents comme une question sociétale, à l’échelle de l’ensemble du marché du travail. Un talent qui part exercer son art ailleurs, c’est probablement une aubaine pour une entreprise voisine (qui sait même, pour un concurrent). C’est aussi pour chacun d’entre nous l’occasion de comprendre ce que l’on n’a pas réussi et donc, la possibilité de s’améliorer sur le plan collectif.
Il y a enfin un devoir ou plutôt une exigence supplémentaire qui passe souvent par une décision individuelle: celle de la positivité. Investir dans les autres, utiliser nos erreurs pour construire (et non pour sanctionner ou détruire), rester sans cesse dans l’ère du possible, garder le meilleur de nos expériences communes. Oui, nous sommes à la limite de l’acte de résistance.
Jean-Paul Erhard