Nous connaissons la détermination d’une génération qui rentre sur le marché du travail, qui revendique, entre autres, un rapport sain au travail et une attention particulière aux questions climatiques et de santé. Mais puisqu’il s’agit de ‘comprendre’ la Génération Z, il n’y a pas que ces jeunes cadres en puissance qui deviendront nos dirigeants, tôt ou tard… Il y a aussi des jeunes travailleurs de bureau et de terrain dont l’attention est exclusivement centrée sur leurs smartphones perso alors qu’ils sont en plein travail. Il y a aussi des recrues fraîches qui abandonnent après quelques jours seulement parce que la voiture est tombée en panne ou que l’on a raté le train à cause d’un mystérieux souci domestique. C’est une réalité fréquente vécue par des managers et des responsables RH qui se demandent si c’est bien à eux qu’il incombe de rappeler à nos petit.e.s chéri.e.s en quoi consistent les notions de responsabilité et d’engagement. Dans l’amour et la bienveillance, évidemment.
Il est temps de revoir le tableau ‘idyllique’ de la Gen Z. Nous avons déjà évoqué la problématique du rapport de subordination qui a disparu. Nous pouvons rappeler aussi à quel point il est difficile pour nos entreprises de s’adapter à la nouvelle réalité d’une société individualiste qui peine à donner naissance à des intérêts partagés. Mais soyons pragmatiques… Nous allons ici aborder les comportements d’une génération qui se réveille péniblement le matin et qui peine à intégrer dans son planning les contraintes externes. Vous les connaissez, vous aussi? Vous les avez déjà pratiqués? Et vous avez essayé en vain de les faire monter à bord? C’est parfois compliqué, mais pas impossible.
Pas le temps de se lamenter sur l’abandon des parents en matière d’éducation
Question la plus fréquemment entendue du côté du management: est-ce que c’est vraiment à nous de faire ça? Lorsqu’un nouveau venu peine à trouver l’énergie pour sortir de la couette dès le troisième jour, ou lorsqu’il/elle peine à venir retrouver ses collègues parce que son train a été annulé et qu’il aurait fallu prendre le suivant, quelles sont les options qui s’offrent à l’employeur? Soit on renonce en mettant fin au contrat dont l’encre n’est pas encore sèche, soit on s’investit de la mission de reformatage d’un comportement adulte et responsable.
Quels sont justement les modèles de comportements qui posent problème? Il y a bien sûr la relation à l’autorité et surtout aux obligations qu’elle incarne. Mais il y a aussi une hygiène de vie compatible avec l’exercice d’une activité professionnelle. Ou encore, la prise en compte d’une équipe qui compte sur la présence de chacun de ses membres pour faire face à la charge de travail. Ces dimensions semblent parfois avoir disparu des radars de certains de nos enfants. Il ne sert à rien de se lamenter. Peu importe au final que ce soient les parents, les enseignants ou les conseillers en charge du passage à l’emploi qui aient lâché le morceau. Les managers RH et de proximité prennent de plus en plus un rôle maternel ou paternel afin de réapprendre des principes vraiment très, très, très basiques. Est-ce qu’il leur appartient de réinstaller ces fondamentaux de l’éducation, avec un taux de réussite moyen par ailleurs? Oui. Nous devons créer une relation (attention à la dépendance!) qui permette de réinstaller des accords simples.
Apprendre un ou plusieurs métiers ?
Ensuite, il y a le défi consistant à transmettre un savoir-faire ainsi que quelques soft skills bien nécessaires pour participer utilement à la vie de l’entreprise.
Pas simple avec des collaborateurs jeunes qui manifestent rapidement leur lassitude après quelques mois qu’ils estiment suffisants pour maîtriser un métier. Peut-on vraiment le reprocher à cette génération ainsi qu’à celles qui vont suivre? Notre économie est pilotée par le court-termisme et des cycles de plus en plus courts. Aussi, il y a une certaine logique dans l’attitude des travailleurs qui expriment une réelle impatience vis-à-vis de leur ‘carrière’.
L’apprentissage est donc central dans notre relation de travail. Et mieux vaut désormais parier sur la variété des compétences à acquérir plutôt que de jouer la carte de la spécialisation. En parallèle du travail sur les fondamentaux évoqués ci-avant, nous voyons la nécessité de multiplier les options en offrant plusieurs pistes de développement, parfois même très éloignées les unes des autres. Une voie à privilégier pour conserver l’implication et s’adapter à la pratique du zapping naturellement intégrée dans nos comportements aujourd’hui.
Une génération qui nous apprend aussi à travailler différemment
Retour à la nuance. Arrêtons ici la complainte des boomers. Au moment de partager ces constats désabusés avec plusieurs professionnels RH confirmés, nous nous sommes posé ensemble la question suivante: s’agit-il d’une génération inadaptée au monde du travail que nous connaissons ou est-ce tout simplement nous qui éprouvons en vieillissant de sérieuses difficultés à comprendre comment elle fonctionne? La réponse unanime fuse: « les deux, mon capitaine »…
Il faut donc se pencher sur la manière dont la Gen Z nous ouvre les yeux sur de nouveaux horizons. Car, ce qui la caractérise au-delà de ce qui précède, c’est qu’elle n’a peur de rien! Absence de débouchés dans ma filière? Même pas peur. Managers psycho-rigides? Même pas peur. Survie de l’entreprise menacée par une crise ou une pandémie? Même pas peur.
Cette absence d’appréhension est remarquable et devrait servir de source d’inspiration au plus grand nombre. Les travailleurs qui rentrent sur le marché du travail et que l’on dit éco-anxieux vivent sans idée préconçue quant à leur parcours professionnel. Tout est possible. Et en soi, cela ouvre bien des possibilités pour nos entreprises. Ces travailleurs introduisent une flexibilité innée dans l’organisation puisqu’ils sont à priori ouverts (et hyper demandeurs) à changer souvent de périmètre d’activité.
Nous sommes en train d’apprendre à bosser différemment… Ce phénomène est intéressant, voire déstabilisant parfois. Est-il le fruit de l’émergence de ce que nous appelons la Génération Z? Non. Nous sommes entrés dans une ère post traumatique, plus conflictuelle et plus fragile que les années 2010 qui nous semblaient compliquées. Les nouveaux venus sur le marché du travail s’adaptent à la situation, en se protégeant par une forme de prise de distance ainsi que par une grosse confiance en leurs propres moyens. Pas idiot, même si cela stimule des instincts de meurtre de temps à temps du point de vue managérial. Considérant que notre obligation morale est celle de la positivité, c’est l’occasion d’inviter celles et ceux qui ont l’habitude de penser que ‘c’était mieux avant’, à envisager le changement pour passer en mode ‘ce sera mieux après’.
Jean-Paul Erhard