Nous nous accommodons peut-être trop facilement de situations intolérables ou incompréhensibles. C’est le cas en ce qui concerne nos entreprises qui ne parviennent pas à combler les places manquantes dans leurs organigrammes. Ou de celles qui ne sont pas en mesure de répondre à la surcharge de travail persistante dont leurs effectifs se plaignent. Dans les deux situations, les conséquences sont identiques: les équipes sont fatiguées. Certaines sont au bout du rouleau. Il faut recruter, avec des moyens limités, pour occuper ces jobs dont apparemment personne ne veut. Un combat perdu d’avance? Certainement pas. Au milieu des années 1970, au coeur d’une crise pétrolière installée dans les livres d’histoire, le slogan était déjà: « On n’a pas de pétrole mais on a des idées… » Il est sans doute plus actuel que jamais.
Problème avec les pénuries identifiées par les services publics de l’emploi: ce ne sont que des réalités statistiques partielles, en tout cas pas vraiment représentatives de la réalité du terrain qui a renoncé à être en contact avec des acteurs publics pas assez efficaces à leur goût. Ce que nous voulons aborder ici est plus concret. Il s’agit de jobs que l’on ne veut pas exercer parce qu’ils sont tantôt pénibles, tantôt absurdes. Mais il s’agit aussi de jobs dans lesquels on ne reste pas parce qu’ils sont difficiles… Il y a un remède, docteur?
Qu’on me donne l’envie… L’envie d’avoir envie…
Au fond, les entreprises confrontées au manque de main d’oeuvre n’ont qu’à s’en prendre à elles-mêmes. Présenter un déficit d’attractivité n’est pas une fatalité. C’est lorsque l’employeur n’a pas grand chose à proposer que l’entreprise et les postes qu’elle peut offrir ne suscitent pas d’intérêt. Il ‘suffit’ de mener les efforts nécessaires qui permettront de compenser le manque d’enthousiasme de nos réserves de main d’oeuvre.
Voici quelques réflexes simples à titre d’exemple pour faire face aux principaux arguments qui abîment la motivation des (futurs) travailleurs. Le job est pénible sur le plan de la santé? Une démarche collective basée sur le partage et le bien-être s’impose. Le job est solitaire? Travaillons ensemble sur la connexion phygitale. Le poste est par nature l’objet de sur-sollicitation? Essayons de proposer un arsenal complet de solutions de flexibilité. La boîte souffre d’un manque de visibilité quant à son impact socio-économique? Le principe de reconnaissance doit être au centre de la stratégie RH. Les leviers sont très nombreux. Ils sont même quasi illimités. L’ambition que nous voulons porter consiste à développer une belle proposition de valeur et à redoubler d’inventivité dans l’animation collective et la qualité de la relation lorsque les tâches semblent ingrates.
Pénurie de main d’oeuvre ou pénurie de compétences?
Entre-temps, nous voyons que de nombreuses entreprises (et plus précisément, de nombreux dirigeants) préfèrent aujourd’hui ne pas recruter plutôt que de multiplier les déceptions face à des investissements à fonds perdus en matière de formation, d’accompagnement et de bien-être. Le constat cruel est là: la main d’oeuvre est bel et bien présente au sein de la population. Mais elle ne convient pas.
C’est évidemment affligeant, quel que soit le point de vue, de renoncer à la croissance parce que les besoins de formation sont trop importants. Manque de courage, d’énergie ou de confiance… Nos entreprises sont pourtant les seules – avec ou sans l’aide des opérateurs publics de formation et d’insertion, nous n’avons pas d’avis définitif sur le sujet – à pouvoir identifier clairement et transmettre les compétences requises pour répondre aux attentes du marché.
Notre futur projet consiste dès lors à entrer dans un effort collectif et sociétal en matière de formation. En mutualisant les initiatives et les moyens afin de rendre cet effort plus supportable pour chacun? Pourquoi pas ?
Une communication inclusive et positive
Attention, nous ne prétendons pas pour autant que chaque situation particulière est toujours simple à résoudre. Une sérieuse prise de conscience reste nécessaire à l’échelon global, à commencer dans les média d’ailleurs. La représentation du travail y est souvent désespérante. Mettons y un terme en donnant le signal de départ pour une communication construite sur des bases positives et inclusives. Les responsables RH peuvent jouer un rôle déterminant en l’occurence: arrêtons de différencier et de segmenter les générations, les profils ou encore les statuts des travailleurs. Essayons de construire sur base de ce qui nous rassemble au lieu de nous focaliser sur ce qui nous sépare. Ouvrons-nous aux parcours improbables, aux personnalités diverses et prenons des risques. Quoi qu’il en coûte, comme dirait l’autre. Oui, c’est du côté des RH que doit aujourd’hui se trouver le sens de l’initiative. L’enjeu n’est plus de trouver les meilleurs moyens de soutenir le business. Il s’agit désormais de lui ouvrir la voie.
Notre proposition vise donc à déplacer la source de l’innovation. Généralement, les changements de business models ou de paradigmes interviennent par le biais de bonds technologiques, via la mise au point de nouveaux produits ou de nouveaux services. Nous pensons que le sens de l’initiative appartient désormais aux acteurs du People Management, au sens large. L’innovation et l’entrepreneuriat devrait prendre ses racines dans une pratique RH disruptive, déterminée et inclusive. Il ne s’agit plus aujourd’hui de (re)mettre l’humain au centre. Ce n’est plus une question d’espace. C’est une question de temps (ou de timing si vous voulez…) Il faut mettre l’humain AVANT. Et à partir de là, tout devient possible.
Jean-Paul Erhard