Le ressort est cassé. Nos contrats de travail ne sont plus adaptés. Regardons autour de nous et constatons que l’autorité, en tant que principe et en tant qu’argument, ne fonctionne plus. Sur le marché du travail comme en société, il faut bien se rendre à l’évidence. Le rapport hiérarchique et la relation de subordination à la base du contrat de travail ont bel et bien disparu. Question logique donc: c’est quoi alors, les fondements du contrat de travail aujourd’hui?
Lorsque le management se heurte au refus des travailleurs de revenir au bureau… Lorsque les horaires de travail sur mesure visent à caser quelques heures de prestation entre la gestion des problèmes domestiques et priorités personnelles… Lorsque des tâches ne sont pas exécutées parce que nos collaborateurs n’en voient tout simplement pas l’utilité, nous pouvons convenir que le rituel de signature du contrat par les deux parties subsiste mais ce qu’il signifie n’a plus rien de commun avec ce que les anciens ont connu.
Ce n’est pas l’avènement de la démocratie en entreprise (désolé)…
La disparition d’une relation d’autorité pourrait être considérée comme un pas résolu vers l’entreprise démocratique, sur base du modèle citoyen participatif. Mais nous n’y croyons pas. A ce jour, nous n’avons toujours pas pu assister à un seul comité de direction ou à un conseil d’administration qui opère en mode démocratie. Les voix et poids relatifs des un.e.s et des autres ne sont jamais équivalents. Le pouvoir est corrélé au capital et/ou à la responsabilité.
Idem sur le terrain: la perte d’autorité ne donne pas naissance à un élan démocratique, hormis dans les tentatives de ‘libération’ de l’entreprise qui ne parviennent pas à s’installer dans la durée. Reste donc à comprendre quels sont les mécanismes qui amènent les travailleurs à accepter de travailler en confiant la destinée de l’ensemble aux meilleurs leaders parmi nous.
Un contrat individualisé régi à 100% par l’offre et la demande
Dans le coin droit, il faut répondre au besoin de main d’oeuvre, de savoir-faire, d’énergie, d’intelligence… L’employeur a grand besoin de tout cela tout en espérant que cela soit, idéalement, recouvert d’une couche de loyauté.
Dans le coin gauche, les travailleurs ‘veulent’ du salaire, des projets, de l’appartenance, de la reconnaissance et beaucoup d’autres choses encore.
Bref, le contrat de travail est sans surprise un échange de bons procédés, un deal momentané visant à répondre aux besoins mutuels des deux parties et au sujet duquel il convient d’intégrer que ses paramètres vont changer, régulièrement.
La notion d’autorité quant à elle disparaît au fur et à mesure que les pénuries s’installent sur le marché du travail et que nos collaborateurs envisagent l’éventualité d’une herbe plus verte ailleurs. Simple. Le contrat de travail est un contrat commercial. Un duo acheteur/vendeur qui tient le coup tant que leurs besoins mutuels sont rencontrés.
Le contrat moral est une illusion.
Un des paris possibles consisterait à tout miser sur ce que l’on appelle le contrat ‘moral’. Evitons ensemble d’être naïfs. Cet autre ‘contrat’, de nature psychologique, est pour le moins fragile actuellement. La faute à qui? Aux employeurs sans doute, qui ont été le premiers à le rompre en ne respectant pas leurs engagements implicites en matière de sécurité (d’emploi, notamment). A force de multiplier les projets (nécessaires, parfois) de transformation et de mener sans état d’âme des opérations de restructuration, nos organisations ont détricoté la relation de confiance sur laquelle se fonde le contrat moral.
Conséquence: ce lien est désormais ténu voire inexistant.
Les deux parties sont condamnées à évoluer dans l’instabilité, au gré d’une relation qui est systématiquement mise en danger par la moindre interférence ainsi que par leurs sautes d’humeur respectives. Il faut trouver autre chose.
Une performance collective qui doit être récompensée équitablement.
Quelle réponse pouvons-nous donc apporter? Elle est forcément nuancée et complexe. Elle doit proposer une voie sur laquelle nous pouvons nous engager durablement. Ce que nous voulons suggérer consiste à développer trois piliers, pas franchement nouveaux, et partant de ceux-ci, de construire une relation de travail saine et équilibrée.
Premier pilier: un dialogue continu autour des missions et de la performance, contraignant de part et d’autre et donnant corps à une feuille de route évidemment évolutive.
Deuxième pilier: une contribution justement récompensée soutenue par le principe de répartition des bénéfices lorsqu’il y en a.
Troisième pilier: l’adhésion à un projet collectif et à des règles partagées (oui, on peut appeler cela des valeurs…) qui déterminent vraiment si le contrat est maintenu ou pas. Transmettre virtuellement un exemplaire du règlement de travail est risible. Cela ne suffit pas.
Nous sommes persuadées que les formats actuels de contrats de travail ne conviennent plus et qu’ils installent en quelque sorte les griefs des employeurs envers leurs employés et vice versa. Pour redéfinir les ‘accords’ sur lesquels nous allons construire de nouvelles relations de travail, il faut pouvoir dire ce qu’est l’entreprise, mais aussi ce qu’elle n’est pas! L’entreprise est un lieu collaboratif, pas une agora démocratique. L’entreprise est un projet collectif, pas la somme de talents individuels qui brillent grâce à la médiocrité des autres. L’entreprise est une source possible de richesses, pas un distributeur inépuisable de salaires garantis… Et si nous nous entendons sur quelques idées basiques de ce genre dès la signature d’un nouveau contrat, alors tout devient possible.
Jean-Paul Erhard
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