Quelle est la définition du talent selon les maîtres artisans japonais ? Le sens de l’effort et la persévérance. Clair, net et précis. Puisque nous sommes toutes et tous en permanence en quête d’inspiration, prenons le temps de nous pencher sur ceci pendant quelques instants… Fidélité, loyauté, humilité, persévérance, sens de l’effort… Pourquoi s’intéresser cette semaine à ces idées ancestrales? Peut-être est-ce une réaction immédiate et inconsciente à la sensation quotidienne de chaos et de crise permanente que nous avons évoquée la semaine dernière. Ces ‘vieilles’ valeurs sont-elles de nature à nous rassurer? Pourraient-elles servir à mobiliser les troupes – à commencer par leurs membres récemment apparus sur le marché du travail -, à réactiver une dynamique positive et à donner de la perspective au sein de nos organisations?
Nous avons besoin de sérénité dans notre travail comme dans notre réalité personnelle. Pure logique. Il est impossible (en tout cas, pas souhaitable) de rester sous haute tension en permanence. Les valeurs qui s’inscrivent dans le temps long ont ceci de rassurant qu’elles nous rappellent qu’il existe des recettes qui ont toujours fonctionné, qui fonctionnent encore et qui fonctionneront à nouveau, malgré le temps qui passe et les révolutions qui se succèdent. Essayons de comprendre donc pourquoi et comment elles pourront émerger à nouveau et influencer nos approches en matière de gestion des talents.
Les nouveaux travailleurs ? Totalement ignorants et tellement doués.
Nos talents privilégient aujourd’hui une approche ‘superficielle’ en matière de compétence. C’est peut-être une conséquence inattendue de notre investissement massif dans le domaine des soft skills. Nous voyons entrer sur le marché du travail actuellement des profils nouveaux qui ne maîtrisent logiquement aucun sujet et peinent à s’intéresser sérieusement à l’un ou l’autre domaine d’activité. Par contre, ils sont pourtant capables de surfer sur toutes les vagues en affichant une belle capacité de communication qui leur permet de se vendre en propulsant quelques punchlines avec assertivité.
C’est pas gagné donc…
Le temps de l’expérience ou de la polyvalence ?
‘’Il faut regarder d’où l’on vient pour savoir où on va…’’ Malheureusement, ce n’est pas avec des phrases définitives que nous arriverons à convaincre sincèrement nos collègues qu’il est intéressant de s’investir dans la durée et de se souvenir du passé… Nous avons en effet un problème d’alignement en matière de gestion du temps.
Nos collègues savent aujourd’hui qu’une carrière est courte dans le sens où elle peut être brisée sur base d’un seul mauvais choix ou d’une événement imprévu. Ils savent aussi et surtout qu’il faut accumuler les expériences et les compétences pour optimiser leur employabilité.
Leur approche de la vie professionnelle est tout simplement réaliste : parier sur une expertise unique, aussi pointue soit-elle, peut s’avérer dangereux. Potentiellement très rentable… mais dangereux. Car nous ne pouvons pas garantir qu’une compétence de pointe ne sera demain ni obsolète ni remplacée avantageusement par une innovation technologique. Nombre de tâches sont progressivement confiées à des machines et à des intelligences artificielles qui parviennent à remplacer des connaissances accumulées avec le temps grâce à leur formidable puissance de calcul.
A nouveau, le choix nous appartient. Libre à nous de valoriser la maîtrise des domaines dans lesquels nos collaborateurs excellent, en reconnaissant davantage les carrières d’expert par exemple. Un moyen simple de promouvoir celles et ceux qui développent des talents uniques.
Patience… Suffit-il d’attendre que des valeurs ‘vintage’ reviennent au goût du jour ?
Autre stratégie possible, attendre paisiblement que le moment soit venu… Puisque nous passons notre vie à enchaîner des cycles qui se répètent, peut-être suffit-il de faire preuve d’un peu de patience pour que des concepts jadis populaires reviennent au goût du jour? Faut-il donc attendre que ces valeurs soient à nouveau modernes?
Nous pensons que n’avons pas le temps d’attendre. Dans la pratique, nous devons bien constater que la notion d’effort et de répétition des gestes qui permettent d’atteindre l’excellence ne s’adresse aujourd’hui qu’à une catégorie limitée de profils. Ce sont ceux que l’on associe souvent aux athlètes d’exception qui présentent des traits de caractère obsessionnels. Sur le marché du travail, ce sont aujourd’hui typiquement des travailleurs indépendants, qui ‘échappent’ en quelque sorte à la gestion des talents au sein des entreprises ‘classiques’. L’évolution est en cours : les compétences aiguisées au fil du temps, nous les trouvons en dehors de nos organisations. Souvent à un coût prohibitif et avec une disponibilité limitée. Sans réagir rapidement, nous devrons constater que les ‘élites’ ont déserté l’entreprise afin de mener leur propre barque.
Entendu récemment et empreint du bon sens terrien que nous aimons tant: ‘’Le travail est le plus proche voisin de la réussite.’’ C’est en quelque sorte une philosophie de vie que nous pouvons décider de partager… En prenant soin de mettre nos stratégies de gestion des talents en cohérence avec des valeurs qui s’en inspirent, telles que le sens de l’effort et la persévérance qui nous ont amené à réfléchir ensemble.
Reste à détecter et à attirer au sein de nos équipes les collègues qui se montrent sensibles à ces idées et qui veulent développer leur art. C’est une communauté d’esprit que l’on identifie rapidement. On se croise et on se reconnaît. Peu importe finalement le statut du travailleur et le format de la collaboration. Nous pouvons toujours nous retrouver sur des principes simples… sur des valeurs sans doute un peu ‘vintage’
Jean-Paul Erhard