Dans quelques heures, ce seront les embrassades, les cadeaux et les bons voeux pour entrer dans une nouvelle décennie. Nous avons hâte. Place aux bons sentiments… Mais juste avant, la tradition veut que nous profitions de ces moments qui précèdent les douze coups pour réfléchir à ce que nous venons de vivre au cours des douze derniers mois, et ce, juste avant de prendre ces fichues résolutions que nous ne tiendrons pas… Prenons donc ensemble quelques instants pour regarder autour de nous ce qui est remarquable et relever trois défis majeurs pour les douze mois qui viennent.
Sommes-nous entrés dans l’ère de la contestation systématique? Car, partout, ça discute, ça se contrarie, ça se chamaille, ça s’engueule, ça s’invective… Mais pourquoi donc faut-il que la quasi totalité de nos conversations soient difficiles, au point que constituer un gouvernement semble être devenu une mission impossible? Si nous nous montrons sensibles à toutes ces petites musiques dissonantes qui émergent des conversations quotidiennes, nous devrions arriver à la conclusion que rien ne va!
La colère de ceux qui sont moins bien lotis.
Le tableau n’est bien sûr pas aussi noir. Mais nous devons aujourd’hui composer avec une forme de violence quasi constante, même si celle-ci est souvent essentiellement verbale. Pour celles et ceux qui apprécient la franchise et le caractère frontal d’une discussion tendue, le gain de temps est réel. Les avis divergents sont exprimés. Il y a cependant de quoi regretter une perte de ’savoir-vivre’. Dans l’ensemble, c’est plutôt un sentiment de malaise qui prédomine face à la colère qui s’exprime. La polémique est sans cesse à portée de click, les avis les plus négatifs s’expriment au grand jour et nous amènent à constater que le nombre de personnes qui sont en colère et bien déterminées à le faire savoir ne fait que croître. Dans la rue, comme dans les couloirs de l’entreprise.
En tant que RH – pour Responsable de l’Harmonie cette fois – faut-il accepter d’être le réceptacle de ces rancoeurs? Faut-il être capable de tout entendre au nom de la liberté d’expression? Et enfin, faut-il répondre à des arguments tordus voire carrément faux? La gestion d’une parole désinhibée est une mission compliquée, très consommatrice de temps et d’énergie et parfois… déstabilisante pour nos propres convictions. Mais nous – employeurs et organisations syndicales avec le même degré d’urgence – devons nous y investir sans attendre.
Génération Green, le culte de la désobéissance.
La nouvelle génération s’est-elle réveillée subitement en matin avec une conscience environnementale? Ou bien est-elle plutôt mobilisée par le rejet de l’ordre établi? En cela, elle ne serait pas différente des générations précédentes qui, les unes après les autres, étaient persuadées qu’elles seraient bien meilleures que celles qui dominaient le monde jusqu’alors. En lien étroit avec ce qui précède, ce qui distingue la génération qui entre sur le marché du travail, c’est la virulence avec laquelle elle se manifeste.
Sur le plan écologique, Greta Thunberg a évidemmentraison quant au caractère urgentissime d’une réaction à la hauteur des enjeux. Mais bien des scientifiques ont tenu le même discours depuis plus de trente ans sans parvenir à mettre qui que ce soit sur les pavés… Greta ne livre pas seulement des discours dramatiques. Notre chère petite a entamé sa démarche en refusant d’aller encore à l’école. Comment allons-nous gérer désormais le refus de normes sociales qui ont rythmé notre quotidien jusqu’à ce jour?
Une zone d’influence qui grandit sans cesse.
Malgré ces évolutions lourdes, il y a de solides raisons d’espérer. Car globalement, nous pensons que la relation de confiance et de proximité entre les travailleurs et leurs entreprises s’améliorent. Alors que les institutions ’s’effondrent’ les unes après les autres, il est bon de voir l’entreprise incarner parfois (restons lucides) une sorte de ‘valeur-refuge’ vers laquelle il est possible de se tourner en cas de coup dur. Oui, le ‘corps social’ que constitue l’entreprise – mes collègues, mes amis, mon chef, mon patron… – est en train de redevenir un pilier essentiel de l’existence. Sans doute s’agit-il du fruit des efforts entamés pour privilégier l’expérience collaborateur. Nous pensons que la confusion entre les sphères privée et professionnelle ‘force’ nos organisations à s’impliquer de manière authentique, saine et positive dans la vie de leurs travailleurs. Et nous pensons que cette dynamique d’échange de bons procédés peut s’intensifier au profit de tous.
L’influence voire l’impact de l’entreprise dans le quotidien de ses collaborateurs est de plus en plus grande. Et c’est important compte tenu des deux premiers challenges que nous avons retenus. Car lorsque la colère des uns et des autres s’est exprimée et que les réponses ne sont pas à la hauteur des attentes (ce qui n’arrive que rarement!), alors vient le temps de la frustration. Certains la concrétisent par du silence et du renoncement et il faut alors composer avec ce foutu désengagement qui nous guette. D’autres vocifèrent, protestent, appellent à la révolution… Nous devons les entendre et continuer, malgré le vacarme, à essayer de construire, ensemble.
Belle année 2020 à toutes et à tous.
Jean-Paul ERHARD