Aux États-Unis, ce phénomène étrange connu sous le nom de The Great Resignation (ou The Big Quit), se répand. Au cours de l’année écoulée, jusqu’à 4 millions d’Américains ont démissionné chaque mois, et 65% des employés ont déclaré vouloir changer d’emploi. Un phénomène inédit, qui va d’ailleurs à l’encontre de toute logique en période de crise économique. Celui-ci va-t-il se répandre prochainement dans nos contrées?
« Il est tentant de lier ce Big Quit à la pandémie de coronavirus et, d’une certaine manière, il y a bien un lien », déclare M. Van Raemdonck de Top Employers Institute. « Mais regardons d’abord ce qui se passerait logiquement en temps de crise – à laquelle nous pouvons sûrement compter cette pandémie. Par le passé, les périodes de crise ont toujours entraîné une diminution des licenciements. Après tout, en période d’incertitude, le salarié choisit son dernier recours. Il ne réfléchira pas deux fois, mais dix fois, avant de passer à un autre emploi. Inversement, les périodes d’essor économique et de stabilité économique entraînent également une augmentation du chiffre d’affaires. Après tout, le salarié est désireux de gagner de l’argent dans une économie en plein essor. »
Si l’on applique cette logique à la situation actuelle, on peut s’attendre à ce que, pendant cette pandémie, les travailleurs soient plus enclins à rester sur place et à conserver leur employeur actuel. Initialement, c’était aussi le cas aux États-Unis : il pleuvait plus de licenciements – 13 millions en mars 2020 – que démissions, qui sont tombées à leur plus bas niveau depuis sept ans.
« Les femmes en particulier ont été les plus grandes victimes de ces vagues de licenciements. Cela concernait alors principalement les secteurs les plus touchés par les lockdowns et les fermetures obligatoires, et dans lesquels ils sont surreprésentés. Pensez aux services de garde d’enfants et aux services connexes, mais aussi à l’horeca. »
Mais ce phénomène n’a pas duré. Au fur et à mesure que la pandémie progressait, une nouvelle tendance sans précédent est apparue : les travailleurs ont commencé à démissionner en masse, malgré des taux de chômage élevés et des pénuries de main-d’œuvre.
Quelles sont donc les raisons de cette vague de licenciements ? « Une raison souvent entendue – et c’est là que le lien avec la coronavirus intervient – est que les employés ont fait l’expérience d’une nouvelle réalité grâce au travail à domicile et ont commencé à l’adopter. Ils ont compris que la vie ne se résume pas au travail. Ils veulent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Ils veulent plus de flexibilité dans leurs horaires de travail. Plus de variété dans leurs emplois. Si tout cela n’est pas là, l’engagement tombe en dessous du point de congélation. Cela conduit inévitablement à l’aspiration à une ‘vie meilleure’. Il n’est pas surprenant que les secteurs qui nécessitent beaucoup de contacts personnels, comme l’hôtellerie, aient été les plus touchés aux États-Unis par des vagues de licenciements. »
Quand il pleut aux États-Unis, il se met souvent à pleuvoir en Belgique.
La question se pose donc : les entreprises belges devront-elles bientôt faire face à leur propre Big Quit ? « Si l’on en croit une étude menée auprès de 5.000 personnes par le prestataire de services RH SD Worx en Europe, les dégâts sont ici limités », affirme M. Van Raemdonck. « Après tout, leur étude montre que c’est en Allemagne que les employés ont connu le plus grand nombre de licenciements liés au COVID-19, avec pas moins de 6,0 % des employés qui ont quitté leur emploi. Le Royaume-Uni arrive en deuxième position (4,7 %), suivi par les Pays-Bas et la France. La Belgique a eu le personnel le plus honorable avec un score de 1,9%. »
Derrière ces chiffres modestes se cachent toutefois de grandes différences sectorielles. « Et c’est là qu’intervient la première similitude avec le marché américain. Le nombre d’employés du secteur de l’horeca, mais aussi du secteur de l’événementiel qui, après un verrouillage obligatoire et une réorientation tout aussi obligatoire vers d’autres secteurs, ne veulent plus retrouver leur ancien poste, est important. Quoi qu’il en soit, notre pays dispose d’un bon filet de sécurité sociale et, au cours des deux premières années, celui-ci a été renforcé par toutes sortes de mesures de soutien. De nombreuses personnes qui restaient à la maison avec une aide au chômage ont réalisé que leur revenu n’était pas proportionnel à leur performance et que la différence avec un revenu de remplacement n’était pas aussi grande qu’elles le pensaient. Il est logique que dans ces circonstances, les gens envisagent un changement de carrière et franchissent souvent le pas. »
Devons-nous craindre les conditions américaines ? « Nous ne nous attendons pas à ce que cela aille aussi loin en Belgique. Toutefois, les secteurs susmentionnés seront durement touchés. De même, à l’autre bout du spectre, dans les emplois mieux rémunérés des personnes ayant un niveau d’éducation élevé, on constate que beaucoup de personnes abandonnent la sécurité de leur emploi permanent pour se mettre à leur compte. Pour eux aussi, l’envie d’une plus grande flexibilité et le désir manifeste d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée prévalent. »
« Bien sûr, la majorité des salariés belges travaillent dans un pays qui a encore pour norme le statut de salarié. Le manque d’esprit d’entreprise dans notre pays a été abordé à de nombreuses reprises. Bien que des mesures aient été prises pour améliorer le cadre social des indépendants, le fossé qui les sépare du gouvernement pour quitter un emploi salarié reste peu attrayant. En conséquence, le statu quo est encouragé plutôt que le ‘grand départ’. Même si certains employés continueront toujours à « sauter » vers une autre entreprise. »
Comment pouvez-vous, en tant que manager, gérer cette situation maintenant et éviter qu’elle ne se transforme en un ‘Big Quit’? Selon M. Van Raemdonck: « Augmenter la rétention de vos employés était déjà un thème important avant la pandémie, et le sera encore plus dans la période à venir. Pour ceux qui ne l’ont pas encore compris : la flexibilité en tant qu’employeur est plus que jamais nécessaire. Ne démontez pas complètement ce que vous avez pu construire pendant le COVID-19. Assurez-vous d’avoir une politique solide et claire en matière de travail à domicile. Remplacez le contrôle par la confiance dans vos employés. Impliquez-les dans la gestion quotidienne de votre entreprise, mais veillez également à ce qu’ils puissent avoir leur mot à dire sur les transformations futures qui sont imminentes. Un employé engagé ne courra pas si vite. Enfin, le conseil le plus important : obtenez le bon état d’esprit des cadres de votre entreprise. S’ils n’adhèrent pas à cette nouvelle histoire de leadership moderne, de flexibilité et de confiance, des temps difficiles attendent votre entreprise. »
Source: Top Employers