C’est un rituel. Tous les ans, juste avant le 21 juillet, le gouvernement boucle et bâcle une réforme en balançant des mesures sorties de nulle part afin que la population et les partenaires sociaux puissent la ‘digérer’ et s’exciter pendant que la majeure partie des élus se repose. Un grand classique: lâcher une bombe au beau milieu de l’été, ce qui permet d’atténuer l’impact de la déflagration. Cette fois, la fausse bonne idée émane du Ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, qui souhaite que le deuxième mois d’absence d’un travailleur en incapacité soit pris en charge par l’employeur. Sans ‘faire de politique’, partageons les raisons qui nous amènent à bloquer sur le principe même…
Fin de la semaine dernière donc, le ministre socialiste de la Santé publique avance une proposition de prise en charge par l’employeur du deuxième mois de maladie en guise de lancement de la seconde phase de sa politique en matière d’incapacité de travail. Son ambition: voir aboutir le projet avant la fin de cette législature. Il précise encore qu’une petite partie du montant payé par ce biais par les entreprises (estimé à 420 millions d’euros) devra renforcer l’incitation à réembaucher les malades de longue durée. La plus grosse part sera reversée aux entreprises sous la forme d’une réduction générale des cotisations patronales. Soit. La mesure envisagée va à l’encontre des besoins réels que nous identifions aujourd’hui afin d’améliorer la relation entre employé et employeur.
Contre-productif pour lutter contre le vrai défi n°1, l’absentéïsme.
La première lecture de l’intention du Ministre est forcément positive. Dans un marché du travail qui compte plus de 10% de la population active en incapacité de longue durée (500.000 personnes concernées pour rappel), il est indispensable de trouver des incitants pour faire face à cette réalité. Cependant, faut-il contraindre les entreprises à couvrir financièrement un deuxième mois d’absence pour qu’elles puissent agir en matière de retour au travail? Evidemment non.
La question centrale et prioritaire reste celle de la prévention. Lutter contre un absentéisme qui perturbe vraiment le fonctionnement quotidien des organisations devrait être une sujet sociétal, autour duquel toutes les énergies se mobilisent. Nous savons que le maintien au travail est reconnu comme un facteur de guérison (hormis dans des situations d’incapacité évidente et incompatible avec la présence dans un environnement professionnel). Préserver les relations sociales pour lutter contre l’isolement, évoluer vers un travail adapté afin de rester en mouvement, ou encore bénéficier d’aménagement du temps de travail sont des solutions efficaces pour éviter que les travailleurs ne perdent le contact avec leurs collègues et leur employeur. Ce sont autant de démarches positives à partager avec les partenaires sociaux et les professionnels des soins de santé si nous voulons avoir un réel impact.
Dégradation garantie de la relation de confiance entre employé et employeur
Nous pourrions imaginer par ailleurs qu’il y a aussi une volonté politique d’offrir une protection supplémentaire aux travailleurs qui subissent un pépin de santé. L’envie de garantir les meilleures conditions pour prendre le temps de se réparer.
A nouveau, il nous semble que cette nouvelle inspiration estivale passe à côté de l’objectif. La prise en charge du deuxième mois par l’employeur ne constituera en rien une protection des travailleurs contre la précarité. Bien au contraire…
Ces mesures-types imposées aux entreprises renforcent les antagonismes entre employé et employeur. Une absence prolongée au-delà du premier mois (ce qui est déjà difficile à concevoir en réalité…) va accélérer la relation de défiance entre les parties. Et sans doute donner lieu à une batterie de licenciements plus rapides encore que ce n’est le cas aujourd’hui. Soyons clairs: un travailleur à charge de l’entreprise pendant huit semaines, sans perspective de retour même progressif au sein de son équipe, s’installe rapidement en marge de celle-ci. Nous n’avons plus de patience, même en faisant preuve d’empathie face à des situations personnelles difficiles. Evitons donc de rendre plus ‘confortable’ encore des cas de figure qui peuvent abîmer nos relations de travail.
Une approche définitivement insupportable
Venons en enfin à la méthode… Ce n’est pas l’objet de refaire ici l’inventaire des mesures inutiles et des couches de complexité qui rendent la vie des patrons et des départements RH particulièrement pénible. L’entreprise étouffe sous un amas de décisions imposées, toutes plus complexes à mettre en oeuvre. Nos exécutifs comprennent cela – c’est ce qu’ils nous disent lorsque nous les rencontrons – et malgré tout, poursuivent dans cette inflation réglementaire. Le point qui nous dérange encore plus, c’est la logique de rétorsion qu’il y a derrière la mesure proposée par le Ministre Vandenbroucke. On connaît son caractère intransigeant voire virulent, qui se traduit ici par une volonté non dissimulée de frapper les entreprises là où cela fait mal. Il y a ici une approche punitive que nous trouvons insupportable. Ce que nous comprenons de la part du gouvernement pourrait être traduit comme suit: « En clair, si nombre de travailleurs sont absents car malades, c’est l’entreprise qui en est responsable et c’est elle qui doit en payer les conséquences. Et si l’entreprise veut prendre part à sa réintégration, elle doit passer à la caisse avant d’être (peut-être…) partiellement récompensée pour ses efforts. »
Vindicatif, bête et méchant. Faute d’explications supplémentaires avant ces vacances bien méritées, voici ce que nous comprenons des intentions du Ministre de la Santé publique.
Dès ce soir, le pays sera plongé dans un état de léthargie profond. Et la plupart d’entre nous auront oublié ce qui se trouve dans les cartons du gouvernement dans quelques semaines. L’idée lancée par ce dernier fera son chemin… ou pas. Et pendant ce temps, nos entreprises essayeront tant bien que mal d’anticiper les futures réformes si bien intentionnées et tellement maladroites, pondues sans doute par des experts qui semblent bien éloignés de la réalité quotidienne du travail et des équilibres instables que nous avons à gérer. Faut-il en rire ou en pleurer? Ou boire pour oublier? Bel été encore à toutes et à tous.
Jean-Paul Erhard