Besoin urgent de ressources, de main d’oeuvre, de talents… C’est ce que nous entendons la plupart du temps lorsque nous rencontrons les membres de nos départements RH. Il faut recruter pour faire face à la charge de travail et c’est devenu vraiment très compliqué. Est-ce vraiment là que nous devons concentrer nos énergies? Et si cette quête de nouveaux talents n’était finalement qu’un mirage? Ou une folle course en avant qui nous détourne des maux humains profonds et complexes à gérer qui traînent dans nos organisations? Est-il bien raisonnable de recruter massivement lorsque l’absentéisme est au plus haut et que la mobilité professionnelle est au plus bas?
Cela fait partie des rengaines classiques dans l’entreprise, et bien sûr de ces ‘reproches’ récurrents qui sont adressés aux services RH: les recrutements prennent vraiment trop de temps. Les RH n’arrivent pas à suivre la cadence des besoins de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle le recrutement et la sélection sont si souvent ‘externalisées’… Cela devrait nous questionner d’ailleurs, puisque l’acquisition de talents et le fit culturel notamment sont confiés à des partenaires qui connaissent forcément moins bien le quotidien et surtout la dynamique collective dans laquelle les nouveaux talents devraient trouver leur bonheur (professionnel). Èntre-temps, essayons de voir si cette chasse effrénée aux nouveaux profils est pertinente, ou pas?
L’échec garanti d’un onboarding en milieu dégradé
Beaucoup d’entreprises annoncent de grosses campagnes de recrutement alors que leur réalité interne n’est pas idéale. C’est un défi sérieux puisqu’il s’agit de convaincre les talents de rejoindre un navire qui, même s’il n’est pas en perdition, présente des signes d’instabilité. Certaines avancent le besoin d’aller chercher sur le marché des compétences manquantes, d’autres insistent sur le besoin de renouvellement. Toutes sous-estiment l’absolue nécessité d’assurer une parfaite cohérence de traitement entre les nouveaux et les anciens. Les efforts déployés pour attirer de nouveaux profils sont rapidement réduits à néant lorsque l’expérience partagée par celles et ceux qui sont déjà en place n’est pas à la hauteur des promesses entendues lors de la phase de séduction. Intégrer des talents dans un environnement détérioré, c’est accepter d’emblée une grande probabilité d’échec en matière d’onboarding. Autant mettre de l’ordre dans la maison avant d’y accueillir de nouveaux résidents, non?
Le défi de la rétention malgré des carrières 100% non linéaires
Si nous nous interrogeons sur le caractère opportun du recrutement, c’est non seulement parce que le ‘marché’ n’est pas favorable mais aussi parce que nous savons que chacune de nos entreprises regorge de talents inexploités. Nous devons essayer de comprendre pourquoi il est si difficile d’adapter la pratique ès People Management aux réalités et aspirations individuelles des travailleurs. Il n’est plus envisageable pour eux de rester trop longtemps dans la même boîte aujourd’hui. Pourquoi? Parce que c’et dangereux! L’absence de mobilité professionnelle correspond la plupart du temps à la régression et augmente jour après jour le risque d’oubli ainsi qu’un possible constat d’inutilité. Même si les plans de formation permettent parfois de donner un nouveau souffle à certains collaborateurs, il est devenu critique aujourd’hui de penser des modèles (plus) dynamiques de talent management. Les cycles business sont courts. Les délais imposés à la réalisation des projets de transformation aussi. Il est donc normal que les changements de fonction et de responsabilités soient fréquents, rapides et… positifs. C’est le prix de la rétention désormais.
Négocier de la patience auprès des clients…
Pour faire face au besoin de main d’oeuvre ‘vraiment’ efficace et pour obtenir des compétences adaptées aux enjeux du business, il faudra investir lourdement en formation. Employeurs et employés sont condamnés à grandir ensemble… Et à cultiver l’art de la patience, qui constitue peut-être la ressource la plus rare dont nous puissions disposer aujourd’hui.
Recruter dans l’urgence n’a du sens que pour les candidats! Ces derniers se plaignent – à raison – de la longueur des procédures de sélection voire parfois de l’absence de suivi formel de leur dossier. C’est déplorable bien sûr mais cela peut arriver, notamment lorsque le descriptif du job ou celui du profil recherché n’est pas assez précis. Les ‘managers de ligne’ sont pressés eux aussi, et ne manquent pas de partager leur insatisfaction lorsque les pépites ne défilent pas aux portes de l’entreprise. Et les pros de la RH de leur côté tentent de répondre à la demande en cherchant dans un vivier de plus en plus réduit et se voient contraints d’agir vite. Le risque d’erreur est important, quelle que soit la qualité de la batterie de tests voire de l’intelligence artificielle que nous utilisons pour étayer nos décisions. Obtenir du temps devrait nous permettre non seulement d’améliorer la justesse du processus de sélection mais aussi dans certains cas, de ‘vérifier’ si l’ajout de sang neuf est bien la meilleure solution…
Dans certains cas, l’état général de nos entreprises, et surtout de leurs effectifs, est trop inquiétant pour que celles-ci soient en capacité d’étoffer leurs propres rangs avec de la ‘chair fraîche’… Le timing peut également être inadapté. Dans ces moments-là, la clairvoyance voudrait que le département RH se fasse violence et puisse prononcer un mot magique: NON!
Au rythme où s’enchaînent les priorités de nos organisations sur le plan RH, nous nous trouvons avec un nombre de chantiers inachevés qui méritent eux aussi toute notre attention.
Aussi, pouvoir refuser actuellement de se lancer sur le marché de l’emploi afin d’y capturer des compétences qui n’existent pas ou qui pourraient être cultivées en interne, cela ne nous semble pas totalement subversif. Que du contraire…
Jean-Paul Erhard