C’est un peu comme s’il n’y avait plus de juste milieu… Comme si nous avions perdu la notion de la mesure. Le travail, on le déteste ou on l’adore. Les extrêmes se renforcent à l’image de ce que nous pouvons observer sur le plan politique, avec pour effet une répartition de la charge de travail parmi les effectifs qui n’a jamais été aussi inégale qu’aujourd’hui. D’un côté, celles et ceux qui donnent tout voire plus encore pour que leur entreprise poursuive son développement dans un environnement difficile et opportuniste. De l’autre, celles et ceux qui abandonnent doucement et rangent au placard leurs ambitions professionnelles en mettant en évidence le manque de sens de leur propre travail. Et entre les deux, reste-t-il encore un groupe de collaborateurs qui remplissent leurs tâches sans trop se poser de questions et qui vivent ‘bien’ la routine quotidienne?
Sociétalement, nous observons le même phénomène. C’est ce que l’on appelle la disparition de la classe moyenne. Le nombre de travailleurs qui ne sont ni surengagés, ni désengagés tend à diminuer. Or, cette ‘masse’ qui constitue le ventre mou (ou le tronc, si on le prend plus positivement) de nos organisationsprésente un intérêt majeur: elle absorbe les chocs socio-économiques par sa capacité de résilience et aussi grâce à une forme rassurante d’inertie. Avons-nous intérêt sur le plan RH à veiller au maintien de cette ‘classe moyenne’? Et comment agir en ce sens? Voici trois petites idées à partager, peut-être.
Living apart together ?
Loin des yeux, loin du coeur… L’adage mérite réflexion dans la sphère professionnelle désormais. L’éloignement subi par rapport au lieu de travail, et par conséquent vis-à-vis des collègues, nous a obligé à repenser notre organisation pratique. Il a aussi mis en doute la pertinence de prendre la route pour aller au bureau pour un nombre important de collaborateurs qui ont ‘découvert’ la possibilité de bosser à distance. Cette ’nouvelle’ relation de travail a-t-elle un impact concret sur la motivation et l’engagement? Définitivement oui. L’organisation du retour au bureau est-elle importante? Oui. Passe-t-elle par la réinvention des conditions de travail et de rémunération? Encore et toujours, oui.
Réduire les déséquilibres privé/professionnel
Les reproches fusent dans les chaumières… Les conjoints sont très nombreux aujourd’hui, plus encore qu’hier, à se plaindre des difficultés que l’autre rencontre pour respecter les limites du temps et de l’espace entre le travail et la vie sociale / familiale. Aussi peu probable que cela puisse sembler, c’est bel et bien à l’entreprise et à ses People Managers de gérer les ardeurs de ses collaborateur.trices qui n’arrivent pas à garder l’église (Teams, Zoom, Google Meet,…) au milieu du village (les devoirs des enfants, les loisirs familiaux, les tâches ménagères…)! Le surinvestissement est visible et mesurable et même lorsqu’il donne la sensation d’accélérer l’avancement des projets professionnels, nous savons que les effets pervers viendront tôt ou tard. Les conséquences sont connues: désynchronisation du collectif qui n’adopte pas forcément le même rythme et/ou épuisement professionnel faute d’une gestion raisonnable de nos propres efforts. Il est toujours possible d’agir avant qu’il ne soit trop tard. N’attendons plus un seul instant pour le faire.
Replacer au centre les ‘oubliés’ du travail hybride
Nous n’évoquons sans doute pas suffisamment les dégâts causés par la pandémie et le travail hybride sur le plan de la cohésion sociale. A raison car ce n’est pas glorieux. Nos organisations confrontées à des crises multiples se concentrent sur la continuité et les urgences. Elles ont oublié en cours de route les personnes peu visibles, occupant des fonctions a priori moins critiques et pourtant bien nécessaires à l’équilibre de l’ensemble. Là où l’équilibre dans la manière dont les missions sont partagées entre les travailleurs était déjà précaire, nous nous sommes retrouvés avec des collègues sur-sollicités puisque performants, et d’autres collaborateurs progressivement mis sur le côté puisque peu ‘demandeurs’. Cette situation prolongée dans le temps provoque non seulement de l’inefficience mais aussi des tensions voire un sentiment d’injustice. Et ce, alors que nous avons besoin plus que jamais de cohésion. A nous de retrouver peu à peu l’implication du plus grand nombre sur base de ces quelques principes simples. Un énorme chantier qui ne porte en lui, toutefois, rien de très compliqué au final…
Jean-Paul ERHARD