« Je te tiens, tu me tiens par la barbichette… Le premier qui cédera aura une… » Même si nous plaidons pour sortir définitivement de toute logique d’affrontement lorsqu’il s’agit de la relation employé/employeur, nous pouvons reconnaître que la tension est réelle. Les études et baromètres récents montrent à quel point un sentiment d’insécurité généralisé s’est installé durablement sur le marché du travail. Ce n’est pas la sensation la plus agréable. C’est surtout une vraie source de préoccupation au moment où nous nous plaignons du caractère anxiogène de la vie quotidienne. Les travailleurs vivent au jour le jour avec l’hypothèse d’une chute fatale des revenus et d’un possible licenciement… Les dirigeants mesurent à quel point leur organisation est tributaire de l’implication de leurs collaborateurs qui peuvent, au fil de leurs humeurs, laisser tomber l’entreprise et monnayer leurs talents ailleurs.
Bref… Il y a eu la pandémie (et son éventuelle résurgence). Il y a la guerre en Europe et la crise énergétique…Et malgré tout, nous savons que la menace qui pèse le plus lourdement sur la rentabilité de nos entreprises reste leur faible capacité à mobiliser les équipes. Alors, on fait quoi? Trois pistes de réflexion, ça vous dit?
Danger sur la transmission du développement des compétences et du business
La fuite des talents constitue avant tout un investissement perdu. Le temps et l’énergie consacrés en matière de formation d’une part, et les initiatives et relations construites en matière de développement du business d’autre part, tout cela part à la poubelle lorsqu’un collaborateur performant quitte l’entreprise. Bien sûr, nous pouvons miser sur un transfert positif du savoir et du réseau, mais soyons francs… Lorsqu’un collègue décide de voler vers d’autres cieux, c’est inévitablement une part du business et des savoir-faire de l’entreprise qui s’en va (sans parler même des données que nous n’arrivons pas à protéger malgré nos affirmations répétées quant à leur caractère précieux).
Peut-on se prémunir contre cette perte de valeur? Pas vraiment. Faut-il de temps à autre céder au chantage? Jamais! Nos moyens d’action existent bel et bien. Place à l’anticipation des départs (car il y a toujours des signes annonciateurs) tout en veillant, en parallèle, à élargir sans cesse la base des talents que nous pouvons développer. Rien de mieux en effet, pour éviter que des travailleurs ne nous quittent, que d’investir davantage encore dans leurs compétences et dans celles de leurs collègues.
La rémunération augmentée, un levier peu efficace tant que la fiscalité n’évolue pas.
Problème déjà évoqué : les réticences à augmenter les salaires ne sont pas une preuve de l’avarice congénitale des patrons. Elles trouvent leur origine dans l’impossibilité de faire marche arrière. Une revalorisation salariale devra être assumée pour des siècles et des siècles, quels que soient les résultats futurs de l’entreprise. Ils peuvent être parfaitement raisonnables aujourd’hui et devenir totalement insupportables dès l’année prochaine.
Si nous pouvions travailler sur une rémunération variable défiscalisée et/ou exonérée de charges sociales, directement liée aux résultats opérationnels de la boîte, nous aurions à la fois une solution de répartition des profits, avec un vrai impact en cash net pour les travailleurs et en ligne avec la santé de l’entreprise. La participation bénéficiaire coûte aujourd’hui beaucoup trop cher aux employeurs pour un impact concret limité auprès des travailleurs. Les premiers bénéficiaires des profits générés sont actuellement les actionnaires (pas d’hypocrisie entre nous) et l’Etat (solidarité oblige et c’est bien comme cela). Si nous voulons agrandir le cercle des bénéficiaires et y inviter les travailleurs, il sera nécessaire de revoir la donne sur le plan fiscal. Cela reste à ce jour le seul moyen de ne pas handicaper à long terme la structure de coûts de nos entreprises voire de perdre la maîtrise des rémunérations.
Talents fatigués, revenus mitigés…
Notre réalité est faite de hauts et de bas dans les performances. Difficile de performer à un niveau régulier. Or, le principal ennemi de la sérénité, c’est l’inconstance… La question que nous invitons à poser est celle de la gestion raisonnable des efforts et du capital ‘énergie’ au sein de nos équipes. Se pose naturellement aussi celle de la manière dont ces efforts sont répartis au sein du collectif…
Essayons donc d’être plus attentifs encore à la forme affichée par nos collègues. Même si nous n’avons pas de mesure concrète à ce jour, la fatigue accumulée par celles et ceux qui contribuent aux résultats est déterminante pour fixer les ambitions de l’ensemble.
Gérer l’énergie des effectifs, de façon rationnelle afin d’assurer la profitabilité durable de l’entreprise… La similitude avec la réalité de chaque citoyen est frappante, n’est-elle pas? Vous me direz… Comparer la gestion des ressources physiques et mentales des travailleurs à la manière dont nous consommons le gaz et l’électricité? Une bonne idée? Disons que la question mérite d’être posée et que, à l’approche des fêtes de fin d’année, peut-être avons nous besoin d’un peu de repos…
Jean-Paul Erhard