Quatre petits mois après les indexations, plus personne ne parle de l’explosion des coûts salariaux. Mieux, face à la problématique de rétention et d’attraction des talents, ainsi que pour faire face à la grogne sociale, de nombreux patrons sont prêts à mettre la main au portefeuille si vraiment c’est la solution permettant de disposer des équipes nécessaires pour faire tourner leur boutique. Question donc: dans un contexte où les travailleurs se plaignent de la détérioration de leur quotidien, le cash est-il la solution? Les hausses de salaires seront-elles suffisantes pour accepter la situation et pour ‘compenser’ en quelque sorte un cadre globalement dégradé? Il s’agit en tout cas du principal (voire le seul) levier utilisé par nos entreprises pour rendre le stress et la fatigue supportables.
Au fond, ce sont deux questions pour le prix d’une que nous voulons soulever cette semaine en tentant d’y répondre bien sûr : la première concerne notre environnement de travail et vise à déterminer s’il se détériore vraiment (ou pas)… Pas évident d’y répondre de façon indiscutable. Objectivement, il est clair que les ‘conditions’ de travail s’améliorent globalement grâce au progrès technologique et la flexibilité. Et pourtant, dans notre vécu quotidien, la qualité du travail se dégrade à cause du progrès technologique et de la flexibilité. En cause, un volume de travail total mal anticipé et mal réparti qui pèse lourdement sur la santé mentale et physique d’une proportion de collaborateurs qui n’est pas vraiment quantifiée. Il faut donc réagir.
Ce qui nous amène dès lors à la deuxième interrogation… La révision à la hausse des salaires, sous leurs formes les plus diverses, est-elle une contre-mesure adaptée? Nous le pensons. Voici pourquoi.
Nous sous-estimons sans doute le choc de l’inflation et le coût de la vie
Avis à celles et ceux qui se posent encore la question : les travailleurs ont besoin de cash. L’exode vers l’étranger (pour changer de vie ou plus prosaïquementt pour faire ses courses!) suffit à le démontrer. En soi, la dure réalité quotidienne d’un grand nombre de personnes justifie l’augmentation globale des salaires.
Dans de nombreux cas d’ailleurs, les augmentations de rémunérations sont indispensables tout simplement pour rattraper le temps perdu. Certaines situations ont été figées trop longtemps et ne permettent tout simplement plus de faire face aux exigences financières d’un monde sans pitié. Est-ce temporaire? Sans certitude, nous sommes depuis plusieurs mois sur le sommet de la vague inflators et il n’y a pas d’accalmie en vue. Essayons de tenir bon, ensemble.
D’autres solutions RH, qui ont un coût elles aussi…
L’augmentation des rémunérations est la réponse immédiate – dont nous connaissons l’impact limité dans le temps – aux frustrations et aux envies d’ailleurs des travailleurs. En général, la reconnaissance ’soft’ ne contente plus les attentes légitimes.
Mais nous pouvons trouver d’autres moyens de répondre aux attentes exprimées avec plus ou moins de force par les travailleurs.
Il y a des pistes à creuser en matière de diversification des rôles, d’amélioration du travail collectif et d’articulation des interactions entre les sphères privée et professionnelle (nous en reparlerons si cela vous intéresse). L’argent n’est certainement pas la voie unique à emprunter lorsque la tension monte entre employés désabusés et employeurs inquiets. Il est toutefois le moyen le plus simple à mobiliser lorsqu’il faut d’urgence maintenir cet équilibre instable qui caractérise le monde du travail.
Attention à la structure de coûts de l’entreprise sur le long terme !
Le recours à la revalorisation salariale ne serait-il qu’une réaction de panique? Il faut répondre vite, plus vite, encore plus vite pour ne pas perdre les talents et/ou pour faire baisser le niveau de grogne sociale?
Dans quelques mois ou quelques années, nous regretterons d’avoir pris ces décisions qui constituent autant de menaces sur la structure de coûts de l’entreprise à long terme. Il nous faut donc plaider à nouveau pour la possibilité d’augmenter des salaires en corrélation avec les résultats via un dispositif fiscal avantageux. Ce qui suppose dès l’entame la possibilité de revenir en arrière lorsque les performances sont moins favorables. Progresser vers une rémunération corrélée à la performance globale de l’entreprise (çàd aux performances financières mais aussi à d’autres dimensions sociétales, environnementales, éthiques…) est nécessaire. A condition d’intégrer dans nos schémas de réflexion le principe du profit partagé. Nous devons certainement encore y travailler.
Nous sommes engagés dans une démarche de recherche permanente qui consiste à mettre en adéquation les rémunérations avec le coût de la vie auquel nos collègues sont confronté.e.. Bien sûr, anticiper les flux et reflux de l’inflation serait la réponse idéale. Nous serions alors en capacité de réagir en temps utile et d’intervenir avant même que la situation sociale ne l’impose.
Mais nous avons peur. Nous sommes toujours freinés par la crainte des dérives et des précédents qui vont donner lieu à un flux non maîtrisé de nouvelles revendications. Reste à nous en affranchir. Dans la vie d’un people manager, le but ultime reste bien de pouvoir agir en équité et justice, de compenser les inégalités évidentes et d’assurer la cohérence de l’ensemble de nos décisions dans la durée. Pour y arriver, il est obligatoire de faire des exceptions de temps en temps. Après tout, les règles sont faites pour être dépassées, ne sont-elles pas?
Jean-Paul Erhard