« Il n’a ni mon talent, ni mon expérience et pourtant, il perçoit le même salaire que moi! » Déjà entendu ce constat? Ce n’est pas seulement une illustration de la difficulté de déployer une politique de rémunération équitable. C’est aussi voire avant tout la confirmation que les débats autour de la transparence des rémunérations sont en passe d’être clôturés. Il n’y a plus d’illusion à entretenir quant à une quelconque confidentialité sur le sujet. Il n’y a pas davantage de raison à résister à la tendance générale: place à une transparence maximale en matière de salaires. Bien sûr, privilégier cette approche n’est pas sans risque… Et elle comporte aussi son lot d’opportunités. Voyons ensemble ce qu’il en est…
Dans notre environnement qui ne supporte plus des inégalités pourtant de plus en plus marquées, la transparence de nos politiques salariales et des différences de rémunérations entre collègues est devenue une question sensible. Partons du principe que les flux de communication ininterrompus rendent impossible la culture du secret…. Il n’y a dès lors plus la moindre raison de s’opposer à une transparence totale des rémunérations entre les collègues et plus largement entre les travailleurs.
Un lien évident entre digital et transparence?
Nous pourrions penser que la numérisation de la plupart de nos activités est à l’origine du phénomène. Toute l’information est disponible à n’importe quel moment à n’importe quel endroit. Pas de raison que les salaires échappent à la règle. C’est vrai mais il faut nuancer un peu toutefois…
C’est la philosophie avec laquelle nous concevons les plateformes digitales qui génère de la transparence (ou de l’opacité donc!). Lorsque les outils numériques sont pensés afin de faciliter l’accessibilité, la portabilité et les interactions, la transparence est une conséquence logique de la transformation digitale. Lorsque ces plateformes reproduisent les silos et procédures qui règnent parfois dans nos organisations, elles ne génèrent aucune lumière. La transparence reste essentiellement une question de volonté managériale.
Une exigence nouvelle face à la complexité des packages.
Restons sur cette dimension déterminante, celle du management et de sa quête d’efficacité. Les ‘packages salariaux’ sont de plus en plus élaborés, dans leur composition et dans leur traduction en terme de pouvoir d’achat pour les travailleurs. La créativité trouve en effet dans nos politiques de rémunération un terrain d’expression particulièrement favorable. Ce n’est pas sans inconvénient… Nous devons réaliser que la valeur de la rémunération globale n’est pas toujours comprise par les travailleurs. Cela se joue à la fois dans le temps (via les mécanismes de capitalisation ainsi que par le biais de la fiscalité) et dans l’utilisation réelle au quotidien. Nos collaborateurs bénéficient souvent d’avantages extra-légaux qu’ils n’utilisent pas alors que cela pourrait avoir un impact concret dans leur budget familial. Pour toutes ces raisons, l’intérêt d’une communication intensive et transparente n’est plus à démontrer.
Egalité, équité ou personnalisation?
Le frein historique à la transparence des rémunérations a été, dans la plupart des cas, la possible mise à jour des incohérences de nos politiques salariales. Pourtant, nous savons que ces incohérences – formule douce pour signifier ‘inégalités intolérables’ – sont inhérentes aux principes de base qui régissent nos économies. Sur nos marchés téléguidés par la performance, l’égalité des rémunérations est juste une utopie parmi d’autres. Elle peut même s’avérer contre-productive. Et une grande majorité des travailleurs a bien compris cela.
Ce que nous voulons aujourd’hui, ce sont des inégalités maîtrisées. Elles se comprennent lorsqu’elles sont raisonnables et donc, acceptables. Idéalement, elles doivent aussi être motrices dans le sens où elles donnent de l’ambition ou elles suscitent des envies d’aller voir ailleurs. Il est temps de réaliser que la question de l’égalité n’est plus pertinente, que le besoin d’équité reste un but à atteindre et que l’attente à combler est celle d’une optimisation individualisée. Et d’offrir en surplus à chacun.e la possibilité de se projeter vers son futur matériel.
Rappelons-nous enfin que lors de chaque période de crise, le facteur ‘Rémunérations regagne en importance dans la liste des priorités RH. Tant du point de vue du travailleur que de celui de l’employeur. Le pouvoir d’achat et la rentabilité de l’entreprise sont soumis à une pression identique, trouvant son origine dans le manque de ressources.
Dans ce contexte que nous décrivons, pratiquer la transparence des salaires, cela veut dire que nous utilisons notre politique de rémunération comme un atout et non comme un défaut honteux, que nous essayerons de compenser tant bien que mal. Toutes les entreprises ont-elles digéré l’impact du numérique, les opportunités des rémunérations alternatives et la capacité à gérer des salaires personnalisés? Certainement pas. A nous de les convaincre d’ouvrir les yeux.
Jean-Paul Erhard